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Comment un bateau me pousse à vous parler du féminisme espagnol

  • Photo du rédacteur: Coline
    Coline
  • 31 août 2018
  • 6 min de lecture

Lors de nos premières balades sur le port de Cartagena avec mon père, nous nous sommes retrouvés aux pieds (enfin à la coque) d'un bateau flambant rouge de secourisme maritime : celui-ci :




Alors oui il est très beau ce bateau me diriez vous mais pourquoi nous parler de lui ?Tout simplement à cause de son nom : Clara Campoamor.


Clara Campoamor est une femme politique et féministe espagnole connue pour son militantisme au début des années 1930, pendant la Seconde République espagnole, enfin surtout pendant la rédaction de celle-ci.


Petit point sur la situation des femmes en Espagne à cette époque : même si l'Espagne n'a pas participé à la Première Guerre mondiale, le pays a fourni les Etats en guerre ce qui a entraîné un développement industriel de l'Espagne et donc beaucoup de femmes ont commencé à travailler dans les usines.

En 1920 est crée la première association féministe espagnole : l'Association Nationale des Femmes Espagnoles et en 1921 a lieu la première manifestation en faveur du droit de vote des femmes. Se développent alors d'autres mouvements comme l'Action Catholique de la Femme pour contre-attaquer et développer un féminisme catholique et modéré. Si le mouvement ouvrier autour de la CNT ou de la UGT défend la libération de la femme, cette lutte reste subordonnée à la lutte révolutionnaire et rejette le mot "féminisme" associé à la bourgeoisie.

On notera que depuis 1910, les femmes ont le droit de s'inscrire librement à l'université et même si encore peu de femmes vont à l'université, on passe de l'exception à la minorité.


D'abord enseignante, Clara Campoamor obtient son diplôme d'avocate en 1924 et défend des affaires concernant des femmes notamment concernant la parentalité et le mariage. En 1928, elle participe à la création de la Fédération Internationale des Femmes Juristes. Elle milite également avec succès pour faire évoluer la législation sur le travail des enfants.


En avril 1931, la victoire de l'alliance antimonarchiste (composée de syndicalistes, des autonomistes catalans et des socialistes) aux élections municipales pousse le roi Alfonso XIII à fuir le pays (... par le port de Cartagena) : la Seconde République est proclamée et les élections législatives de juin confirme le succès des Républicains. Il est temps de créer une constitution à cette nouvelle République. Si les femmes n'ont pas le droit de vote, elles sont cependant éligibles et deux femmes sont élues : Victoria Kent et ... Clara Campoamor. Si Victoria Kent va incarner le conservatisme en affirmant que le temps de l'égalité des sexes n'est pas venue, Clara Campoamor va militer (même contre son propre parti) pour le droit de vote des femmes en affirmant qu'il s'agit d'un droit naturel.

Elle va donc représenter son le Parti Radical au sein de la commission chargée de rédiger l'avant projet de la Constitution. Elle va pouvoir ici se préparer aux arguments qu'y lui seront opposés lors des débats qui auront lieu en assemblée plénière.





Le 1er octobre 1931, elle est appelée à la tribune pour présenter les travaux de cette commission. Elle va s'opposer par ce discours aux arguments de l'opposition représentée par sa seule collègue femme à l'assemblée, Victoria Kent qui avait pourtant milité avec elle quelques années avant et même aux membres de son propre parti.

Ainsi aux arguments concernant l'implication de la femme dans les domaines de la guerre, de l'éducation ou encore de l'économie, Clara Campoamor répond que les femmes ne devraient pas à apporter quelconque preuve de leurs capacités car cela ne serait jamais demander à un homme.

Elle appelle en revanche à remettre en cause la hierarchisation même des êtres humains qui, bien plus qu'une question éthique est une question de principe, reprenant ici une idée énoncée entre autres par Victor Considerant en 1848 au sein de l'assemblée française.

Elle va également utiliser des statistiques démographiques pour prouver que non, les femmes ne sont pas plus incultes que les hommes, au contraire ! Cela va lui permettre de rejeter les théories d'un neurologue allemand qui tentait de prouver que le poids de la masse cérébrale et la fragile constitution physique des femmes expliquerait leur infériorité intellectuelle...

Enfin, elle va se lever contre la loi naturelle du plus fort et du dominant qui a permis aux hommes de construire une société à leur image où la femme n'a pas sa place dans l'espace politique et social, loi qui naturelle qui va être renforcée par les principes religieux. Elle prône un abandon de cette loi du plus fort au profit de la loi du plus convaincant, surtout dans le domaine politique. Elle souligne que cette nouvelle république ne peut s'affirmer comme démocratique si son cadre juridique implique d'emblée une discrimination.


Elle va réussir à imposer ses idées à cette assemblée masculine : plus de 75% des députés vont approuver son projet. L'égalité femme-homme est reconnue par la constitution et le droit de vote est accordé aux femmes.


Cependant, elle va être tenue pour responsable de l'échec de la gauche républicaine ne 1933 car ce serait les femmes qui auraient fait basculer l'Assemblée espagnole à droite (bah ui bien sûr et même que la marmotte elle emballe le chocolat dans le papier alu). Clara Campoamor écrira à ce propos : "A partir de 1933, le droit de vote des femmes sera la meilleure marque de lessive pour laver les turpitudes politiques des hommes". Elle n'est pas réélue à son poste de député et quitte le Parti Radical en 1935 dénonçant les tendances fascisante de ce dernier. La victoire du Front Populaire en 1936 apportera à toutes et à tous (si c'était nécessaire...) la preuve empirique que non, vote des femmes et politique de gauche ne sont pas incompatibles.

Le début de la guerre civile va la pousser à s'exiler en 1936 en Suisse où elle continua à écrire sur le féminisme et la politique. Elle retourna en Espagne deux fois, en 1947 et 1951 mais poursuivie pour "appartenance à une loge maçonnique" par le régime franquiste, le danger était trop grand pour elle en Espagne. Elle est décédée en 1972 à Lausanne où elle a passé la fin de sa vie aux côté d'Antoinette Quinche, suffragette et avocate suisse.


Et après il s'est passé quoi en Espagne? Si, dans le camp républicain, la guerre civile a permis quelques avancées comme la légalisation de l'avortement en Catalogne ou la suspension de l'autorité maritale, le franquisme va constituer un véritable retour en arrière : la femme doit être une bonne épouse, une bonne mère et une bonne catholique. Les associations féministes, à l'image des syndicats ou des partis républicains vont être interdits et réprimés.

La "transition démocratique", après la chute du franquisme, va être marquée par l'éclosion des mouvements féministes qui ne sont plus clandestins mais la légalisation des syndicats et du pluralisme politique va poser une question fondamentale : le mouvement féministe doit-il s'intégrer dans la stratégie globale des partis ou bien maintenir son indépendance ? Cette question va entraîner des grands débats au sein du mouvement féministe, entre les féministes qui admettent un double engagement et celles qui considèrent que le féminisme ne peut s'exprimer qu'à travers des partis féministes ce qui va entraîner une scission au sein du féminisme espagnol.

Sur le plan juridique, en 1981 est à nouveau légalisé le divorce et affirmée l'égalité entre l'épouse et son mari. En 1985, l'avortement est légalisé en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou si le fœtus présentait de graves problèmes de santé. (depuis 2009, l'avortement est légal sans conditions malgré une tentative de Mariano Rajoy en 2013 de poser à nouveau des conditions).


Aujourd'hui, les militantes féministes espagnoles continuent de se battre notamment pour l'égalité salariale ou encore contre la violence conjugale qui, malgré plusieurs lois, reste un fléau très important en Espagne : en 2015, le Ministère de la Santé estimait que 12,5 % des femmes auraient été victimes de violences conjugales.


Manifestation du 8 mars 2017 à Madrid


Pour finir je vous propose quelques citations de Clara Campoamor et même si son combat a aujourd'hui plus de 80 ans, n'oublions pas que les luttes féministes pour l'égalité des genres et la fin de la dictature patriarcale sont loin d'être terminées.


"Defendí en Cortes Constituyentes los derechos femeninos. Deber indeclinable de mujer que no puede traicionar a su sexo."

"El feminismo es una protesta valerosa de todo un sexo contra la positiva disminución de su personalidad."

"Resolved lo que queráis, pero afrontando la responsabilidad de dar entrada a esa mitad de género humano en política para que sea cosa de dos. No podéis venir aquí vosotros a legislar, a votar impuestos, a dictar deberes, a legislar sobre la raza humana, sobre la mujer y sobre el hijo, aislados, fuera de nosotras. "


Si vous souhaitez approfondir le sujet du féminisme espagnol, notamment pendant les années 1930, voici deux conseils de séries et de films :


  • Un peu (beaucoup) noyé sous du mélodrame romantique, les enjeux du féminisme espagnol et de ses combats à la fin des années 1920 et du début des années 1930 restent bien présents dans la série "Les Demoiselles du Téléphone". La série évoque également la thématique LGBT+ et la perception de l'homosexualité et la transidentité à l'époque (bien que trop légèrement à mon goût).

²

  • Le film "Libertarias" (trouvable sur internet en espagnol sous titré français) qui dépeint la guerre civile du point de vue des femmes libertaires en Catalogne qui rejoignent la colonne Durruti pour se battre contre les troupes fascistes.


Et si le sujet vous intéresse n'hésitez pas à me contacter ! J'ai quelques ressources à vous transmettre si vous voulez!

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